En ce temps-là,
Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple :
33 « Ecoutez cette parabole :
Un homme était propriétaire d'un domaine ;
il planta une vigne,
l'entoura d'une clôture,
y creusa un pressoir et bâtit une tour de garde.
Puis il il loua cette vigne à des vignerons,
et partit en voyage.
34 Quand arriva le moment des fruits
il envoya ses serviteurs auprès des vignerons
pour se faire remettre le produit de sa vigne.
35 Mais les vignerons se saisirent des serviteurs,
frappèrent l'un,
tuèrent l'autre,
lapidèrent le troisième.
36 De nouveau, le propriétaire envoya d'autres serviteurs
plus nombreux que les premiers ;
mais on les traita de la même façon.
37 Finalement, il leur envoya son fils,
en se disant :
Ils respecteront mon fils.
38 Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux :
Voici l'héritier :
venez ! tuons-le,
nous aurons son héritage !
39 Ils se saisirent de lui,
le jetèrent hors de la vigne
et le tuèrent.
40 Eh bien ! quand le maître de la vigne viendra,
que fera-t-il à ces vignerons ? »
41 On lui répond :
« Ces misérables, il les fera périr misérablement.
Il louera la vigne à d'autres vignerons,
qui lui en remettront le produit en temps voulu ».
42 Jésus leur dit :
« N'avez-vous jamais lu dans les Ecritures :
La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle. :
c'est là l'oeuvre du Seigneur,
la merveille devant nos yeux !
43 Aussi, je vous le dis :
Le Royaume de Dieu vous sera enlevé
pour être donné à une nation
qui lui fera produire ses fruits. »
LA PARABOLE DE LA VIGNE
On reconnaît tout de suite dans cette parabole de Jésus les emprunts qu’il fait au chant de la vigne du prophète Isaïe : « Un homme était propriétaire d’un domaine ; il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour de garde ». Le propriétaire entoure sa vigne des mêmes soins que le vigneron d’Isaïe ; mais les similitudes s’arrêtent là. Dans l’évangile, la parabole prend un tour nouveau et propose donc une leçon nouvelle.1
Chez Isaïe, le propriétaire est en même temps le vigneron ; la vigne représente le peuple d’Israël, une vigne entourée de soins, mais décevante et qui ne donnait que des mauvais fruits.
Dans la parabole de Jésus, le propriétaire n’est pas le vigneron, il n’exploite pas directement sa vigne, il la confie à d’autres vignerons ; écoutons Saint Matthieu : « Il la loua à des vignerons et partit en voyage ».
QUI EST LA VIGNE ? ET QUI SONT LES VIGNERONS ?
Quant à savoir qui est la vigne, et qui sont les vignerons, ce n’est pas clair. De deux choses l’une : première hypothèse, la vigne représente Israël, comme chez Isaïe, et les vignerons sont les chefs des prêtres et les pharisiens. Ils avaient la charge de la vigne, le peuple d’Israël, et ils l’ont mal guidé puisqu’ils ont maltraité tous les prophètes et, en définitive, ils sont en train de rejeter le Fils Bien-Aimé du Père.
Deuxième hypothèse, la vigne représente le Royaume de Dieu et les vignerons, c’est le peuple d’Israël tout entier, qui en avait reçu la charge. C’est cette deuxième hypothèse qui est probablement la bonne, puisque Jésus termine en disant : « Le Royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits ».
LE ROYAUME DE DIEU VOUS SERA ENLEVE
Cette dernière phrase de Jésus est terrible : « Le Royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits ». Faut-il en conclure que le peuple d’Israël serait rejeté ? Grave question qui a empoisonné le dialogue entre Juifs et Chrétiens depuis vingt siècles ; et à laquelle s’affrontait déjà douloureusement Saint Paul, le Juif, dans la lettre aux Romains. Sa conclusion était que, de manière mystérieuse, mais de manière certaine, Israël reste le peuple élu au service du monde parce que « Dieu ne peut pas se rejeter lui-même ».
D’autre part, il ne faut pas oublier qu’une parabole n’est jamais un verdict, mais un appel à la conversion ; il est vrai que d’une parabole à l’autre, dans cette dernière étape de la vie de Jésus, le ton monte, mais c’est parce que l’urgence de la reconnaissance du Messie se fait pressante. Nous sommes à la veille de la Passion. Il ne faut jamais perdre de vue que le souhait constant de Jésus est de sauver les hommes, non de les condamner ; et que, s’il guérit les aveugles de naissance, il désire plus encore guérir ses compatriotes de leur aveuglement. On a donc là une ultime tentative de Jésus pour alerter les pharisiens ; ses paroles sont sévères, mais elles ne constituent pas un jugement définitif.
Il ne s’agit en aucun cas d’un jugement sans appel du peuple juif dans son ensemble ni même de ses chefs ; ce serait contraire à tout l’évangile. D’ailleurs l’annonce la plus importante ce n’est pas que le Royaume leur soit enlevé : ce qui compte c’est que, malgré les obstacles dressés par les hommes, le Royaume produise son fruit. Ce n’est pas le vigneron qui compte, c’est le raisin.
LA PIERRE REJETEE PAR LES BATISSEURS
Mais surtout c’est le commentaire de Jésus qui nous donne la clé de la parabole : « N’avez-vous jamais lu dans les Ecritures : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle. C’est là l’oeuvre du SEIGNEUR, la merveille devant nos yeux ! » Dieu est un habitué de ces renversements de situation. Déjà, au livre de la Genèse, les fils de Jacob avaient dit à propos de leur frère Joseph « voilà le Bien-Aimé, tuons-le »... ils n’imaginaient pas que celui qu’ils voulaient supprimer était celui qui allait les sauver, eux et tout le peuple (Gn 37,20). D’une certaine manière, Jésus annonce ici sa Résurrection : lui, la pierre rejetée deviendra la clé de voûte de l’édifice ; traduisez le nouveau peuple, ce seront tous ceux qui se rassembleront autour de lui, quelle que soit leur origine. Et nul n’en est exclu : tous les vignerons sont englobés dans la phrase de Jésus sur la croix « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».