La société française affronte un nouveau traumatisme, après l’attentat survenu hier en fin d’après-midi au cours duquel un Tchétchène de 18 ans, né à Moscou et de nationalité russe, a décapité un professeur de collège, Samuel Paty, qui avait montré à ses élèves des caricatures de Mahomet. L’assaillant a été aussitôt poursuivi et abattu par les forces de police. Cet attentat est survenu trois semaines après une autre attaque islamiste durant lequel un Pakistanais avait blessé à coups de hachoirs deux personnes qui se trouvaient devant les anciens locaux de l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, dont l’attaque du 7 janvier 2015 fait actuellement l’objet d’un procès.
En plein débat sur le rapport entre la laïcité et les pressions communautaristes, l'assassinat de vendredi a provoqué une onde de choc. Neuf personnes ont été interpellées et placées en garde à vue depuis le début de l’enquête vendredi soir. Il s’agit de proches de l'assaillant, mais aussi de parents d'élèves du collège du Bois d'Aulne dans la banlieue ouest de Paris. Plusieurs s’étaient plaints en effet de l’intervention de ce professeur.
Le ministre de l'Education Jean-Michel Blanquer devait recevoir samedi matin avec le Premier ministre Jean Castex les représentants des personnels et des parents d'élèves. «Nos enseignants continueront à éveiller l'esprit critique des citoyens de la République, à les émanciper de tous les totalitarismes et de tous les obscurantismes», a déclaré le chef du gouvernement sur Twitter.
Le président Emmanuel Macron s'était lui rendu sur les lieux vendredi soir, qualifiant l'assassinat «d' attentat terroriste islamiste caractérisé». «Ils ne passeront pas. L'obscurantisme ne gagnera pas», a martelé le chef de l'État, dans un pays où les signes de tensions provoqués par les islamistes sont de plus en plus fréquents. Hors de France, la présidente de Commission européenne, Ursula von der Leyen, a notamment adressé ses «condoléances à sa famille et aux Français. Mes pensées vont aussi aux enseignants, en France et partout en Europe. Sans eux, il n'y a pas de citoyens. Sans eux, il n'y a pas de démocratie», a-t-elle écrit.
Les réactions des évêques de France
Sur Twitter, la Conférence des évêques de France «exprime sa profonde tristesse face à l'assassinat de M. Samuel Paty. Les catholiques prient pour lui et sa famille. La fraternité est une urgence.» Le porte-parole de la CEF, Vincent Neymon, a pour sa part tweeté: «Tristesse et horreur devant l’horrible crime contre Samuel Paty. Pensées et prières pour ses proches, sa famille, ses élèves, ses collègues. Notre pays deviendra-t-il une école de fraternité, seul rempart contre cette violence inouïe? Que votre mort, M. Paty, nous montre ce chemin!»
Le diocèse de Versailles, qui recouvre le département des Yvelines où est située la ville de Conflans-Sainte-Honorine, a diffusé un communiqué signé par l'évêque, Mgr Éric Aumonier, et son auxiliaire. Mgr Bruno Valentin. «L’assassinat de M. Samuel Paty, professeur de collège à Conflans-Sainte-Honorine, nous bouleverse comme tous les citoyens attachés aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Nous le portons dans notre prière, avec sa famille, ses collègues, ses élèves, et tous ceux que cet acte révoltant blesse au plus profond d’eux-mêmes.»
En citant le passage de l'encyclique du Pape François Fratelli Tutti dédié aux valeurs qui sont inscrites dans la devise de la République française ("Liberté, Égalité, Fraternité"), ils rappellent que «la fraternité a quelque chose de positif à offrir à la liberté et à l’égalité. Que se passe-t-il sans une fraternité cultivée consciemment, sans une volonté politique de fraternité, traduite en éducation à la fraternité, au dialogue, à la découverte de la réciprocité et de l’enrichissement mutuel comme valeur ? Ce qui se passe, c’est que la liberté s’affaiblit.»
«Tous ensemble, croyants de toutes religions ou non-croyants, il est urgent de nous rassembler au service de cette éducation à la fraternité qui appartenait à la vocation de M. Paty. Nous invitons toutes les paroisses du diocèse à prier à cette intention lors des messes de ce dimanche», concluent-ils.
L'émotion est également vive dans le diocèse de Rouen, où ce nouvel assassinat ciblé réveille le souvenir de l'attentat contre le père Jacques Hamel, assassiné le 26 juillet 2016 dans son église de Saint-Étienne-du-Rouvray. «Le fanatisme a tué. Une fois de plus. C’est toujours aussi insupportable», écrit l'archevêque de Rouen, Mgr Dominique Lebrun dans un communiqué commun signé avec le délégué épiscopal à l’enseignement catholique, Laurent de Beaucoudrey, et le délégué diocésain aux relations avec les musulmans, le père Pierre Belhache.
«La colère et la peur guettent les collèges après avoir touché les lieux de culte, les forces de l’ordre ou des symboles de la République. Le diocèse de Rouen continuera d’enseigner dans ses écoles, collèges et lycées les éléments fondateurs de la fraternité. Les dix commandements en sont la base : "Tu adoreras Dieu seul" et "Tu ne tueras point" sont pour nous inséparables. Puissent l’assassin et ceux qui nourrissent le fanatisme trouver la lumière dans une rencontre authentique de Dieu. Jamais, Dieu ne veut la mort, pas même celle du méchant. Il veut que l’humanité se détourne du Mal pour retrouver sa vocation à aimer», écrivent-ils.
Demain, dimanche 18 octobre, à 15 h, les responsables des cultes se rassembleront devant la Stèle républicaine pour la paix et la fraternité dressée près de l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray à la mémoire du Père Jacques Hamel.
Autres condamnations religieuses
«L’horreur ... La mort donnée au nom de Dieu. C’est intolérable. Je prie au sanctuaire de Lourdes pour la victime et ses proches, pour les enseignants qui ont une si grande mission, pour que nous ne perdions jamais le courage de construire la fraternité», a écrit Mgr Olivier Ribadeau-Dumas, le recteur du sanctuaire marial.
Le père Vincent Féroldi, directeur du Service National pour les Relations avec les Musulmans, a réagi hier soir sur Twitter avec ces mots : «Ce soir, la communauté éducative nationale est en deuil après l’horrible décapitation d’un professeur d’histoire-géographie à Conflans-Sainte-Honorine. Toutes mes pensées et ma prière vont vers sa famille, ses collègues et les élèves de son collège. La vie humaine est sacrée.»