Espérer c’est résister à la résignation 

 Espérer c’est résister à la résignation 

Comment vivre ces temps difficiles et incertains ? La religieuse auxiliatrice et psychanalyste   Isabelle Le Bourgeois nous livre ses réflexions sur le temps présent et sur la notion d’espérance, ce « truc de catho » beaucoup moins éthéré qu'il n'y paraît.

Re confinés. Voilà qu’avec ce « re » cela soupire en moi, en nous. Encore ! Saturation, colère, découragement, résignation, peur… autant de sentiments qui peuvent nous habiter en ces temps tellement inédits. Nous vivons une contrainte imposée par la crise sanitaire mais aussi, dans le même temps, les attentats, la crise économique, la situation internationale, et les problèmes personnels plus ou moins lourds à porter. L’incertitude et l’impuissance ne sont pas loin. « Trop c’est trop ! Je ne sais plus ce qui peut m’aider vraiment à me tenir vivant. Tout cela est trop incertain, cela m’angoisse », m’a récemment confié un patient. Nous tenir vivants ? C’est bien la question, n’est-ce pas ? Mais vivants comment, de quelle vie parle-t-on ?                                                                                                                                             Devant l’avalanche de nouvelles difficiles, rudes, angoissantes nous ne sommes pas tous préparés de la même façon. Les ressources dont nous disposons sont inégales et nos réponses le sont aussi. C’est une réalité liée à notre histoire personnelle qui n’est pas toujours simple à reconnaître et à accepter. Il va nous falloir nous prendre avec douceur et confiance car les événements actuels, plus que jamais, nous convoquent à repérer sur quoi nous appuyer pour continuer la route. Il nous faudra, dans un premier temps, identifier ce qui a besoin d’être soutenu, encouragé, étayé au risque de passer à côté de ce qui se déroule réellement en nous. Est-ce l’incertitude des temps à venir qui m’angoisse et me paralyse ? La violence du monde qui fait monter en moi de la haine ? La contrainte qui m’est imposée qui me met en colère ? Etc. Angoisse, haine, colère ne sont pas du même registre mais ils ont en commun d’affaiblir notre liberté et notre aptitude à entrer en relation.

Comment nous tenir vivants malgré ce qui nous submerge, nous dépasse, nous grignote ?

Oui, comment nous tenir vivants malgré ce qui nous submerge, nous dépasse, nous grignote ? Il y a des recettes, des trucs sûrement qui nous ont déjà aidés et qui vont encore faire effet mais je crois que ce que nous vivons, aujourd’hui, collectivement et personnellement, nous invite à puiser encore plus profond dans nos ressources, là où la vie en nous est gardienne de la Vie. C’est une posture intérieure qui réclame notre énergie et notre attention. Cette posture s’appelle l’espérance. L’espérance ? Ah voilà, nous y sommes, comme chemin de sortie de crise, merci ; ce sont des trucs de catho qui ne savent pas quoi dire et nous renvoient ainsi à une dimension inaccessible et éthérée. Mais enfin est-ce bien sérieux et légitime d’espérer dans un monde où tout va mal, qui nous fait mal, qui crie et qui gémit ? Du concret, nous voulons du concret pour nous aider à sortir de ce qui nous embourbe. C’est ce que disent certains patients irrités par des discours qui leur semblent sans prise avec le réel.

Comme si l’espérance n’avait rien à voir avec le réel. Comme si elle renvoyait seulement à l’au-delà, à l’après-vie, comme si elle était du côté du « ça ira mieux demain… la vraie vie est après la mort… » Mais alors si la vraie vie est après la mort, quelle est celle que nous vivons ici-bas ? Espérer, là, maintenant, c’est croire que le présent de ma vie a de l’avenir, qu’il a du sens déjà là maintenant et qu’il ne se résigne pas. Espérer c’est résister à la résignation, résister à la tentation de la mort, du « c’est foutu ». C’est une posture engagée car elle fait barrage au désespoir et à tous ceux qui en font le lit.

Espérer, c’est en même temps accepter humblement de ne pas tout savoir et admettre qu’il y ait un au-delà de ce qui est vu, entendu, touché. Espérer nous fait sortir des certitudes mortifères et des doutes qui nous paralysent. Elle nous entraîne sur des chemins de grande randonnée où tant d’autres marchent déjà. L’espérance c’est un projet, celui de nous tenir vivants.

Isabelle Le Bourgeois, religieuse auxiliatrice et psychanalyste.